La question de la prestation compensatoire lors d’un divorce suscite de nombreuses interrogations, notamment sur la manière d’apprécier la « disparité des conditions de vie » entre les ex-époux.

L’arrêt récent de la Cour de cassation du 5 mars 2025 apporte une précision essentielle : les droits prévisibles à la retraite doivent désormais être intégrés dès l’appréciation de cette disparité.

Cette évolution jurisprudentielle marque un tournant dans la prise en compte du devenir économique des époux au-delà de la seule photographie de leur situation au moment du divorce.

1. Principes généraux de la prestation compensatoire

La prestation compensatoire vise à atténuer, autant que possible, la différence de conditions de vie que la rupture du mariage crée entre les époux.

Elle est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de son évolution dans un avenir prévisible.

2. La retraite : un critère longtemps discuté

Traditionnellement, les droits à la retraite étaient considérés parmi les critères d’appréciation de la disparité, mais leur prise en compte effective posait difficulté.

En effet, il s’agissait souvent d’un élément prospectif, dont l’impact n’était pleinement mesuré qu’à l’approche du départ en retraite ou une fois la liquidation effective des droits.

La jurisprudence avait cependant déjà admis la nécessité d’anticiper l’éventuelle précarité du conjoint ayant cessé de travailler pour élever les enfants ou favorisé la carrière de l’autre, ce qui pouvait entraîner à terme une retraite sensiblement moindre.

3. L’apport de l’arrêt du 5 mars 2025 : une appréciation renforcée de la retraite prévisible

La Cour de cassation, dans son arrêt du 5 mars 2025, précise que les droits prévisibles à la retraite doivent désormais être pris en compte dès l’appréciation de la disparité des conditions de vie.

Ainsi, le juge ne doit pas se limiter à une vision photographique de la situation au jour du divorce, mais anticiper la répercussion des choix de vie passés sur les revenus futurs, notamment à l’âge de la retraite.

Cette approche rejoint la doctrine dominante et la pratique judiciaire :

      • Le juge doit prendre en compte la situation respective des époux en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances de la vie commune.
      • L’audit patrimonial doit donc intégrer la projection vers l’avenir, en tenant compte de l’incidence des périodes de non-activité ou de temps partiel sur la constitution des droits à la retraite.

4. Conséquences pratiques : une compensation mieux adaptée

L’arrêt du 5 mars 2025 oblige à une analyse prospective, au bénéfice de l’équité et de la réalité économique.

Quelques illustrations pratiques :

      • Un conjoint ayant interrompu ou réduit son activité professionnelle pour élever les enfants se retrouvera, lors de la liquidation de ses droits à la retraite, dans une situation moins favorable que l’autre, même si la disparité de revenus immédiats n’est pas flagrante au moment du divorce.
      • La prestation compensatoire pourra ainsi être fixée en tenant compte non seulement des ressources actuelles, mais aussi de la perte anticipée de droits à pension, pour permettre au bénéficiaire de maintenir un niveau de vie équitable à long terme.

Cette réflexion rejoint la méthodologie de certains experts, qui valorisent le déficit de droits à la retraite dans le calcul du capital de la prestation compensatoire.

5. Une protection accrue pour le conjoint le plus vulnérable

En intégrant systématiquement la retraite prévisible, la jurisprudence protège mieux le conjoint qui, par ses choix de vie (souvent en faveur du foyer ou de la carrière de l’autre), s’expose à une précarité future.

Ce faisant, elle rejoint la vocation première de la prestation compensatoire : assurer une compensation qui tienne compte de l’ensemble du parcours de vie du couple, au-delà du simple partage des biens ou des revenus actuels.

6. Conclusion

L’arrêt du 5 mars 2025 de la Cour de cassation impose une nouvelle discipline dans l’appréciation de la disparité des conditions de vie lors du divorce : les droits à la retraite ne sont plus un critère accessoire, mais une composante essentielle de l’équilibre économique post-divorce.

Pour les époux en instance de divorce, il est donc crucial d’anticiper, avec l’aide de leur avocat, l’impact à long terme de la séparation sur leur niveau de vie futur, et de documenter précisément leur carrière, leurs choix de vie et les incidences sur leurs droits à pension.

Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 mars 2025, 22-24.122, Inédit – Légifrance