Par un arrêt du 7 mai 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur une question sensible et complexe en droit international privé : le refus d’exequatur d’une décision étrangère obtenue par dissimulation d’informations ayant déjà été prises en compte par le juge français.
Cette décision rappelle que le contrôle de l’absence de fraude ne se limite pas à la simple fraude à la loi, mais englobe plus largement toute dissimulation ayant permis l’obtention d’un avantage indu devant une juridiction étrangère.
I/ Les faits : deux procédures, deux juridictions, une seule disparité compensée… deux fois ?
Mme Y. et M. G., mariés en Allemagne, ont divorcé en France en 2014.
Le juge aux affaires familiales de Perpignan avait alors condamné M. G. à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire, notamment pour tenir compte de la disparité de leurs ressources, incluant ses pensions de retraite.
Par la suite, Mme Y. a obtenu en Allemagne, en 2016, une pension de retraite compensatoire au titre du droit allemand, une forme de redistribution des droits à pension vieillesse. En 2017, cette décision a été confirmée par la juridiction allemande d’appel.
Mme Y. a ensuite sollicité l’exequatur en France de cette décision allemande, afin de la rendre exécutoire sur le territoire français.
II/ Le nœud juridique : exequatur et absence de fraude
Pour rappel, l’exequatur permet de faire reconnaître et exécuter en France une décision rendue à l’étranger, sous certaines conditions : compétence du juge étranger, conformité à l’ordre public, et absence de fraude.
Mme Y. soutenait que la décision allemande portait sur des droits distincts de ceux évalués par le juge français.
Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait refusé l’exequatur. Pourquoi ?
La Cour souligne que :
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- Mme Y. avait connaissance des pensions de retraite de M. G. au moment du divorce.
- Le juge français avait tenu compte de ces revenus dans le calcul de la prestation compensatoire.
- Mme Y. a pourtant soutenu devant le juge allemand que ces droits n’avaient pas été pris en compte en France, induisant ainsi ce dernier en erreur.
Elle a donc dissimulé une information déterminante dans la procédure étrangère, obtenu un second avantage économique sur la base des mêmes faits, et contrevenu à l’autorité de chose jugée du jugement français. Pour la Cour, cette dissimulation caractérise une fraude à l’exécution en France de la décision étrangère, ce qui justifie le refus de l’exequatur.
III/ Un enseignement clair pour les praticiens : attention à la cohérence des procédures internationales
Cet arrêt illustre la vigilance de la Cour de cassation face aux tentatives de double compensation issues de décisions rendues dans des États différents.
Il confirme que l’exequatur n’est pas automatique. Toute dissimulation ou incohérence stratégique dans les procédures internationales peut entraîner son refus.
En pratique, cela invite les parties et leurs conseils à :
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- Bien documenter les éléments financiers pris en compte dans chaque procédure,
- S’assurer d’une cohérence entre les demandes formées devant les différentes juridictions nationales ou étrangères,
- Anticiper les risques liés à l’autorité de la chose jugée, même lorsque les droits ou mécanismes diffèrent d’un pays à l’autre.
Conclusion
Dans un monde où les situations familiales sont de plus en plus transnationales, cette décision rappelle l’importance d’une stratégie juridique coordonnée et transparente.
Le juge français n’hésite pas à protéger son ordre juridique contre l’exécution de décisions étrangères obtenues au prix d’omissions volontaires ou de manœuvres procédurales.